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L’architecte au cinéma : entre utopie et fantasmes

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Longtemps ignoré ou relégué au second plan, l’architecte a fini par se frayer un chemin dans les récits cinématographiques. Dans le documentaire L’Architecte au cinéma (Arte), on découvre une galerie de portraits qui n’ont pas grand-chose à voir avec les appels d’offres, les réunions chantier ni les refus de permis d’urbanisme. Ici, l’architecte est une icône, une projection, parfois un cliché — et presque toujours un fantasme.



Un personnage à fort potentiel symbolique


Malgré son impact sur notre quotidien — organiser l’espace, façonner les villes, imaginer les lieux de vie — l’architecte reste un personnage discret dans le cinéma de fiction. Et quand il apparaît, c’est souvent en retrait. Pas assez dramatique, trop technique, trop silencieux, peut-être ? Pourtant, comme le montre le documentaire, le métier incarne des tensions puissantes : entre ordre et désordre, création et contrainte, rêve et réalité


Le héros en col roulé


Quand le cinéma s’intéresse enfin à l’architecte, il le transforme en visionnaire torturé. Dans Le Rebelle (1949), Gary Cooper campe un architecte prêt à faire sauter ses propres bâtiments si on trahit sa vision. La Classe ! Loin des cahiers des charges et contraintes PEB, ce type est un pur-sang. Idéaliste, solitaire, intouchable. Même chose, en plus post-moderne, dans Inception, où l’architecte conçoit des mondes oniriques manipulables à volonté. Le génie, c’est d’être ailleurs.


Une profession glamourisée par Hollywood


Autre époque, autre usage. Dans les comédies romantiques des années 1990-2000, l’architecte devient un mec sympa. George Clooney dans Un beau jour ? Papa solo, architecte, chemise blanche et loft avec mezzanine. Richard Gere dans Intersection? Mêmes codes. Matthew Perry dans Three to Tango ? Pareil. Ils sont tous bien sous tous rapports : sensibles, urbains, modestement créatifs. L’architecte devient le métier parfait pour incarner l’homme équilibré, séduisant, cultivé, mais pas intimidant. Le genre de type qui sait ce qu’est un mur porteur, mais qui a aussi des sentiments.


De la fiction au pouvoir : architecte ou technocrate ?


À l’opposé de cette figure rassurante, certains films dystopiques prennent une autre voie. Dans Metropolis ou Brazil, l’architecture devient une machine oppressive. L’architecte y est absent, mais omniprésent : c’est celui qui conçoit le système. Celui qu’on ne voit pas mais qui contrôle tout. Là, l’architecte devient le garant d’un ordre figé, le bras armé du pouvoir sous couvert de design.


L’architecte comme double du réalisateur


Il y a aussi une lecture plus méta. Le documentaire d’Arte suggère que le cinéaste et l’architecte ont beaucoup en commun. Tous deux fabriquent des mondes, racontent des histoires à travers des espaces, décident du cadre, de la lumière, du rythme. L’un construit en dur, l’autre avec des images… mais l’intention est la même : faire entrer le public dans une vision, un plan, un récit. Ce n’est donc pas un hasard si les architectes fascinent tant les réalisateurs : ils sont peut-être, au fond, leur reflet.


Mais dans la vraie vie…


Et pendant ce temps-là, que fait l’architecte belge moyen ? Il planche sur un projet de réaffectation de garage en crèche, attend une réponse du service d’urbanisme de la commune, négocie avec des clients qui trouvent "que c’est quand même cher les honoraires de l’architecte", et répond à des mails à 23h43. Parce que dans la vraie vie, l’architecte n’est ni démiurge ni George Clooney. Il est un professionnel qui compose avec les normes, les contraintes, les délais, les budgets, les sols pollués, et parfois — quand il a de la chance — un peu de liberté créative.


En conclusion


L’architecte de cinéma n’existe pas. C’est une projection de nos fantasmes d’ordre, de maîtrise, de beauté. Un personnage pratique pour raconter nos peurs du chaos ou notre envie de structures rassurantes. Il nous fascine parce qu’il incarne un idéal de monde pensé.


Mais cette figure-là est taillée pour la fiction. Elle flotte au-dessus des compromis, ignore les contraintes budgétaires, esquive les règlements communaux. Elle rêve, elle trace, elle impose. Elle rassure aussi, parce qu’elle donne l’illusion que tout pourrait être dessiné, structuré, contrôlé.


Mais les vrais architectes continuent, eux, à négocier le réel. À faire avec. À faire malgré. Et parfois — souvent, même — à réussir à transformer les contraintes en quelque chose qui ressemble à une idée, une vision, un projet. Bref, à faire de l’architecture.

 
 

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